D'un air maussade, je fixais les gouttes de pluie qui tombaient l'une après l'autre sur le sol de l'université de Cambridge, de par ma fenêtre. Je ne pouvais pas sortir, et cette situation me déprimait en tout point. J'étais quelqu'un de l'extérieur, quelqu'un du soleil, et qui ne pouvais rester sans bouger. Énergique comme personne, j'avais toujours besoin de me dégourdir les jambes, de courir un peu, et surtout, d'aller composer à la lumière des rayons de l'astre lumineux. A l'intérieur, j'allais surement déranger tout le monde. Ma guitare sèche, celle qui avait déclenché en moi cette passion de la musique, me fixait au coin de la pièce comme si elle m'en voulait. J'avais l'habitude de la considérer comme quelqu'un à part entière, et pas simplement un objet. D'ailleurs, elle avait un nom, mais seul moi le connaissait et je ne souhaitais le dire à personne. Elle ne m'appartenait qu'à moi, et gare à ceux qui venaient à simplement la toucher. J'étais très jaloux et possessif par rapport à mon instrument, aussi débile que cela paraisse. En soupirant, je posais le regard sur la pile de bouquins et de feuilles en désordre sur mon bureau. Il fallait que je travaille, mais l'énergie pour faire une telle chose n'était pas en moi en cet instant là. De plus, j'avais déjà accompli tous les devoirs et apprit toutes les leçons en avance, et disposais de plus de temps libre qu'il ne m'en fallait. Au fil des années, j'avais pris la décision de me mettre à plancher plus sérieusement sur les cours, et je bénéficiais maintenant d'un carnet de notes irréprochable. Ma culture littéraire et scientifique était également grande, autant que ma culture générale. Si je n'avais pas été si réservé et timide, je pensais que j'aurais pu être un de ces garçons populaires. Mon physique n'était surement pas désagréable, car quelques filles courageuses s'étaient mises en tête de m'aborder. Malheureusement, elles ne m'intéressaient pas, mais je ne me comportais pas de manière désagréable ou agressive envers elle. Il n'y avait qu'une seule personne au monde -et le terme était bien choisi- qui me faisait chavirer, et celle-ci se trouvait sur un autre continent. Pourtant, en quelques minutes, je pouvais la rejoindre.

Je me levais et m'étirais, maintenant décidé par rapport à ce que j'allais faire. Je passais devant le miroir de ma petite chambre d'étudiant, histoire de voir ce à quoi je ressemblais. Ce n'était pas terrible. Mes cheveux n'étaient pas coiffés, mais il fallait le dire, c'était mon style habituel. Je passais constamment ma main dans ma chevelure, et il était donc impossible de la dompter. Quand à mes vêtements, ils étaient assez décontractés et pas bien classes. C'était assez simple, il fallait le dire, et confortable. Jean, t-shirt, veste, il n'en fallait pas bien plus. En deux temps trois mouvements, je m'élançais dans les couloirs de la résidence et me dirigeais vers la Senate House. C'était de là, que j'allais pouvoir rejoindre les États Unis, même si cette idée aurait semblé totalement délirante pour n'importe quelle personne qui ne connaissait pas le passage. Même moi, au début, je n'y avais pas cru. Mais quand je m'étais retrouvé dans le hall de Harvard, humant cette odeur de travail et de solennité, mon esprit avait été convaincu. Il me fallut peut de temps pour rejoindre le sous sol, et je faisais un signe au gardien pour pouvoir emprunter le passage. Seuls les élèves de Cambridge pouvaient y passer, et il était là pour s'en assurer. Quelques secondes plus tard, je me retrouvais dans les sous-sols du Harvard Hall, et il me fallut monter les escaliers pour arriver dans les couloirs empruntés par les nombreux étudiants de la célèbre université. J'aimais être anglais, et les américains semblaient aimer les anglais aussi. Certains me complimentaient sur mon accent que je n'aimais pas cacher, tandis que je détestais cette manière de parler typiquement américaine. Mais bon, ce n'était pas bien grave, et je n'en faisais pas une affaire d'état. L'établissement était grand, mais j'avais amplement le temps. J'aimais me balader ici, surtout dans l'espoir de croiser la belle qui occupait mon esprit. Et puis, je l'espérais, non en compagnie de son petit ami que je ne pouvais supporter. Je ne lui adressai jamais la parole, et ne faisais pratiquement que l'admirer de loin. C'était suffisant. Elle ne le savait pas, mais j'avais composé des chansons pour elle, attendant le bon moment pour les lui interpréter. Seulement, celui-ci ne semblait jamais arriver.

Mes pieds foulèrent le sol extérieur, et mes narines humèrent le parfum frais de la verdure. Quelques pas me suffirent pour trouver un endroit où me poser, en espérant trouver un moyen de repérer quelqu'un qui m'était familier. Je n'avais pris ma guitare, et je le regrettais immédiatement. Le temps était à son beau fixe ici, et j'aurais pris un plaisir particulier à composer. Je pensais quelques minutes, en observant les alentours, quand elle fit apparition dans mon champ de vision. Elle s'appelait Ruby, et j'étais d'accord pour dire que son prénom lui allait à ravir. Je détaillais les courbes fines de son visage, bien qu'elle soit loin de moi. Soudain, elle retourna la tête, et il me sembla croiser son regard. Timide comme personne, je baissais la tête en espérant qu'elle ne m'ait remarqué, et l'enfouissais entre mes mains. Elle devait surement me prendre pour un idiot. Mes joues étaient chaudes rien que de l'avoir vu, et mon cœur battait plus vite. Ruby me faisait un effet fou, et je ne pouvais rien faire pour l'empêcher. Seulement, je n'aurai aucune chance d'être avec elle, puisqu'elle ne s'intéressait surement pas à moi. Elle avait son petit ami, qui avait un caractère relativement opposé du mien. Je ne pouvais qu'observer, attendre, imaginer ce que je pourrais faire pour l'aborder sans jamais oser.